dimanche 14 août 2016

Histoire de la violence

  • Roman, de Édouard Louis, 2016, Français


  •          Pourquoi ça crame les oiseaux?


Histoire supposément vécue d'une tentative de meurtre et viol, du point de vue de la victime. Ce que cette agression révèle ou bouleverse dans sa vision de lui-même et de son identité.

  •          L´histoire


Une nuit de réveillon de Noël, un jeune homme : Édouard (l'auteur), rentre chez lui à pieds. Il est abordé par Reda, jeune Kabyle très beau qui lui fait du charme. Édouard est pris au jeu et le fait monter chez lui, où ils font l'amour et discutent longuement de sujets intimes : Reda raconte notamment le parcours de son père venu d'Algérie, et ayant fait un séjour difficile dans un foyer de jeunes travailleurs. Ils passent du bon temps jusqu'au moment où tout bascule : Édouard surprend Reda avec sa tablette neuve en poche et son téléphone a disparu. Il lui demande de le lui rendre et Reda, pris au dépourvu, s'énerve, l'insulte, et dans une escalade de violence le menace avec un revolver, l'étrangle violemment, et oscillant entre tendresse et accès de colère furieuse, le viole. Puis Édouard réussit à fuir sur le palier et menace de crier, ce qui parvient à faire fuir Reda.

Le livre raconte en détails la nuit en question, mais aussi les heures et jours qui ont suivi. D'après Édouard Louis : “il n’y a pas une seule ligne de fiction” : tout s'est réellement passé, la violence de Reda, les prénoms de ses amis avec qui il réveillonne sont réels, ainsi que les échanges avec les policiers.

Le narrateur est parfois l'auteur à la première personne et parfois sa sœur, personnage littéraire (je n'ai pas encore compris en cherchant sur internet si elle, par contre, était réelle ou non, il semblerait que non) parlant un français populaire et peu correct, et donnant son avis sur les événements alors qu'elle les raconte à son mari. Par ce procédé, Édouard se questionne aussi sur ses origines et sa personnalité : sa fierté d'être devenu un intellectuel parisien alors qu'il vient d'un village où beaucoup de gens sont racistes, homophobes ou peu éduqués. Il raconte les vols qu'ils a commis dans sa jeunesse (et lui permettent de “comprendre” ceux de Reda), sa volonté de s'éloigner de ce racisme malgré sa peur nouvelle des hommes maghrébins, et comment cette volonté l'amène à presque “pardonner” son agresseur.

  •          Ce n'est que mon avis


On peut dire que j'ai commencé Histoire de la violence sur un malentendu : je l'avais plus ou moins confondu avec “L'origine de la violence”, roman dans lequel, apparemment, l'auteur questionne ce qui amène les hommes à la violence. J'ai donc attendu cette question en vain une bonne partie du livre...

J'avais de plus un à priori plutôt négatif, ayant lu une critique de blog littéraire dans laquelle on disait que le parler “populaire” et incorrect de la sœur, opposé à la langue littéraire et plus riche du narrateur, donnait un coté condescendant.

Et en fait, c'est un peu vrai : ma première impression, qui est restée une bonne partie de la lecture, est celle d'un style d'écriture d'intellectuel qui se regarde écrire, qui ne parle que de lui même, donne des avis et se justifie de les donner. Le genre de livre dans lequel on sent trop l'auteur derrière le récit, son envie d'expliquer, de bien faire. Dans ce cas, le livre en a non seulement le style mais aussi le propos : il est en très grande partie question du « statut » de l'auteur, de sa honte de venir d'une classe populaire peu éduquée, et de la honte d'avoir cette honte. On oscille donc souvent entre mépris politiquement correct et auto-justification.

Finalement, c'est peut être là que se trouve un intérêt du livre : le mea culpa d'un jeune écrivain (23 ans) qui assume avec honnêteté et un peu de naïveté son rejet de ses origines. C'est comme cette focalisation sur l'origine kabyle de l'agresseur : Est-ce que, en essayant de le comprendre, l'auteur transmet une idée de racisme ou comme il le voudrait plutôt, l'inverse du racisme? Il est intéressant de voir que selon les critiques les interprétations ont pu être diamétralement opposées.

Il est amusant d'observer la petite polémique suscitée par le roman dans les milieux littéraires, entre ceux qui aiment et ceux qui détestent, et surtout le rebondissement quelques jours après la sortie du livre : le Reda en question, arrêté pour une autre raison et reconnu des services de police, s'est manifesté en portant plainte pour « atteinte à la présomption d’innocence » et « atteinte à la vie privée » , expliquant que rien n'était vrai dans le roman. (finalement il n'a pas eu gain de cause au procès, son procès pour l'agression reste à venir).

Le fait que l'histoire puisse ne pas être vrai rend toute l'affaire plus intéressante. Cela permet de nouvelles questions sur les intentions d'un auteur et le rôle de l'écriture, cet auteur là étant passionné de sociologie et s’intéressant aux effets des structures sociales sur la violence. Est-ce que je conseillerais ce livre? Pas vraiment. On peut être intéressé par sa lecture, si on décide de le voir comme une confession intime d'un jeune homme qui, par son honnêteté et son courage à raconter un épisode très dur de sa vie, et sa capacité à s'autoquestionner, se rend presque sympathique, et fait presque oublier le coté pédant et moralisateur de l'ensemble.

J'ai surtout été vraiment intéressée par la lectures des différentes critiques à posteriori, avec  rebondissements juridiques et coups de gueule, ce qui m'a donné envie de retenter dans un futur proche une expérience de vivre la littérature dans son actualité, au lieu de ne lire que des romans trouvés au hasard dans les vide-greniers ou à la bibliothèque. Je découvre aussi les bienfaits de l'écriture de critique qui pousse à creuser l'univers des œuvres, ce qui m’enthousiasme, alors que je n'écris que ma seconde critique, pour l'avenir de ce petit blog, en tout cas au niveau de ce qu'il pourra m'apporter!



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